Visite du Potager du Roi à Versailles

Mardi 20 octobre 2020 le groupe du chantier  de formation des Pierres de Montreuil est allé visiter le Potager du Roi à Versailles.

Dès l’arrivée à la gare de Versailles Rive Gauche, Elysée, Aiker, Olivier, Mamadou, Amara, Gaye, Djamila, Mahamadou, Adde, Gnolie, sont impressionnés par la ville, l’ancienneté des bâtiments que nous croisons jusqu’au 10 avenue du Maréchal Joffre, entrée du Potager du Roi, ornée de deux vasques en pierre remplies de fruits sculptés.

David, un des jardiniers, qui y travaille depuis 20 ans, nous accueille et nous raconte comment le Potager du Roi a été construit entre 1678 et 1683 par Jean-Baptiste La Quintinie, dont la statue en pied en bronze, trône au centre de la terrasse qui surplombe les carrés potagers.

A la demande de Louis XIV, l’emplacement du « marais puant » est choisi pour sa proximité avec le palais de Versailles, alors en plein agrandissement, malgré les fortes réticences de La Quintinie qui aurait préféré un espace plus éloigné mais demandant moins d’aménagements.

Ce potager royal doit fournir en fruits et légumes la table du roi et sa cour et pourvoir aux innombrables et fantasques exigences royales.

Nous apercevons à droite du bassin d’arrosage, un portail doré, c’est la Grille du roi qui permettait à Louis XIV de venir au potager en descendant les "Cent marches" situées le long de l'Orangerie, dont La Quintinie était aussi responsable.

Nous enlevons momentanément nos masques pour un petit exercice d’identification sensorielle qui nous fait plonger dans les aromatiques, leurs utilisations, les moyens de les identifier : sauge ananas, cerfeuil, mélisse, absinthe, citronnelle.

Entre seize poiriers  « Robines » centenaires, contre-palissés ; courent au sol des courges en tous genres : galeuses d'Eysines, trompes d’Albanga, giraumons turbans, cucurbitacées originaires d’Amérique du Sud, acclimatés en Europe dès la découverte des Amériques.

Friand d’asperges, le roi en voulait dès février, ne pouvant attendre avril, date saisonnière de récolte. Les jardiniers, répandaient du fumier frais en provenance des écuries royales à proximité, qu’ils changeaient chaque jour, pour augmenter artificiellement la température de la terre et assurer une récolte ainsi avancée de deux mois.

En jouant des diverses expositions, en utilisant des châssis vitrés et des cloches, La Quintinie met au point des techniques élaborées pour obtenir des récoltes à contre-saison. Ses résultats extraordinaires font la renommée du Potager de Versailles.

"La chaleur, tant dans la terre que dans l'air ne peut régulièrement venir que des rayons du soleil. J'ose dire pourtant que j'ai été assez heureux pour l'imiter en petit à l'égard de quelques petits fruits : j'en ai fait mûrir cinq et six semaines devant le temps, par exemple des fraises à la fin mars, des précoces, et des pois en avril, des figues en juin, des asperges et des laitues pommées en décembre, janvier." dit La Quintinie dans son "Instruction pour les jardins fruitiers et potagers", publié en 1690.

Les figuiers, originaires du bassin méditerranéen et plus particulièrement de Palestine, sont considérés à l'heure actuelle comme le plus ancien fruit domestiqué. Sa culture remonterait à 9 400 av. J.-C. L’Oranger, ramené de Chine, à l’époque des Grandes explorations du XVIème siècle, (Vasco de Gama arrive en Chine en 1513) est très prisé en Europe dès sa découverte.

La création de l’orangerie et de la figuerie permettaient d’offrir des figues et des oranges au roi qui les adorait, dès la mi-juin, et ce pendant six mois. La culture en bac des orangers et figuiers a longtemps été un symbole de pouvoir pour les élites qui leur dédiaient des bâtiments spécialisés.

Le prunier d’Asie Mineure a été introduit en Europe à l’époque des Croisades. Le poirier sauvage est connu depuis le néolithique en Europe et en Asie Mineure et produit de petits fruits. C’est sa culture par greffage qui a permit le développement de variétés domestiques plus grosses. Un botaniste grec, Théophraste, au IV siècle avant notre ère, indique les deux techniques de greffage en fente et en écusson. Pline, l’encyclopédiste romain décrit 35 variétés. L’introduction du poirier en France a été faite à l’époque de l’expansion de l’Empire romain. A l’époque médiévale, la poire était peu savoureuse et consommée cuite. Des variétés donnant des fruits de meilleure qualité apparaissent à la Renaissance. Sous le règne de Louis XIV, plus de 500 variétés de poiriers sont connus.

Si l’étymologie laisse pense que le pêcher est originaire de Perse, il serait en réalité arrivé de Chine par la Route de la Soie, puis de Perse à la Grèce au IVème siècle avant notre ère. Les Romains ont commencé à le cultiver au Ier siècle avant notre ère et l’appelait « malum persicum », pomme de Perse. L’archéologie a révélé à Saintes, en Charente, des noyaux de pêches dans des vestiges galllo-romains. S’il est cultivé depuis la moyen-âge en France, c’est le développement de la technique de l’espalier qui va permettre l’expansion de sa culture. Louis XIV était un très grand amateur de pêches et de poires.

La technique de la culture en espalier des arbres fruitiers, aussi appelé palissage,, associée au greffage, a largement favorisé l’acclimatation de ces variétés en France et le développement de variétés de très grande qualité.

A Versailles, les poiriers, pêchers, pruniers ont pu pousser à la chaleur et à l’abri des vents dominants grâce à la présence de ces très nombreux murs à palisser, bâtis en meulière, la pierre locale. Dans le plan de La Quintinie, publié en 1690, on remarque « onze petits jardins tout enclos de murailles » et notamment des « jardins biais ». Le climat étant devenu plus humide, certains des murs de ces clos, ont été détruits ultérieurement et sont invisibles aujourd’hui.

Outre les problématiques de chaleur, l’un des enjeu du palissage est de faciliter techniquement la culture et la récolte. Les poiriers francs, dits aussi « arbres de plein vent », obtenus par semis de pépins peuvent atteindre 20 mètres de haut, bien trop hauts pour être taillés et récoltés, et les fruits s'abîment en tombant. C'est une des raisons pour lesquelles les poiriers cultivés sont palissés mais aussi greffés sur des cognassiers pour obtenir des arbres plus petits.

Si Louis XIV n’aimait pas les pommes, sa culture s’est néanmoins développée après son règne au Potager du Roi. Les pommiers sont greffés sur des portes-greffes nanifiants adaptés au sol. Les bourrelets sont des sortes de cicatrices du greffage, visibles au pied des pommiers. Des pommiers pollinisateurs sont plantés tous les 5 pieds quand le pollen de certaines variétés est de mauvaise qualité.

Des auvents pour protéger de l’eau, en verre, étaient placés sur des supports métalliques en haut des murs à palisser. La préciosité et la rareté du verre au XVIIème siècle - pensons au symbole de la Galerie des Glaces pourvues de 17 fenêtres, à une époque où la plupart des habitations en sont dépourvues - montre la valeur accordée à ces arbres.

Nous admirons des poiriers en pyramide, en palmette, en éventail, en cordons, en cordons opposés, en cordon vertical à la Becaletto. Au XVIIème siècle, l’art de la taille se développe au-delà des contraintes thermiques, solaires, de facilité de production, dans une pure ambition esthétique.

Certains murs montent jusqu’à 5m50 et sont légèrement inclinés pour favoriser l’ensoleillement. Aujourd’hui, d’absurdes contraintes administratives, rendent impossibles le travail en hauteur et limitent le palissage à 3 m sur ces murs.

Nous admirons le mur récemment enduit par Les Pierres de Montreuil. D’étranges bouteilles en plastique fichées dans le mur, attirent l’attention du groupe. Elles seraient liées au coulinage intérieur de plâtre pour assurer la densité et la solidité du mur.

L'abbé janséniste Jean-Roger Schabol, fervent chantre du Montreuil horticole, soutient dès les années 1760 que « l'invention » des murs à palisser est liée à une tradition locale ancienne. C’est à Corbeil que les premières pêches auraient été cultivées en Île-de-France. La situation géographique de Montreuil, la nature géologique de son sol et la présence de carrières à ciel ouvert vont permettre l'érection rapide des murs. Ce qui est unique à Montreuil, c’est l’intensité de la pratique et son extension rapide sur le territoire. On attribue un rôle clé à un montreuillois, Nicolas Pépin, membre éminent d'une longue dynastie de cultivateurs, qui a un temps travaillé avec La Quintinie avant qu’une brouille ne les éloigne.

La première trace écrite des jardins de Montreuil est, d’après Antoine Jacobson, directeur du Potager du Roi, dans un texte de 1706. Ce texte confirme la source aristocratique du principe du clos "à la Montreuil". Le premier plan de Montreuil faisant figurer des murs à pêches date de 1730.

Nous voyons à Versailles, les variétés qui ont fait la renommées de Montreuil : Téton venus, Grosse mignonne et nous découvrons attendris, la forme « Vincent », en cordons opposés avec un cercle central.

Au Potager du Roi de Versailles, les apprenti-e-s-maçons des Pierres de Montreuil perçoivent l’ancienneté de la pratique du palissage des arbres fruitiers, sa renommée, et la préciosité de fruits dont on oublie trop souvent, l’histoire et les nombreux talents et savoir-faire que leur production nécessite.